Le rouge des briques et le bleu d’un ciel invincible, c’est là qu’Otman voit le jour. Sa famille conjugue la diversité géographique : un père marocain et une mère bretonne, franco-algérienne. C’est au son du luth de son père qu’il grandit, mais ses premiers pas dans la musique sont le résultat d’une histoire d’amitié. Nouvelle latitude : de la musique orientale, il passe au rap français. Les figures tutélaires touchent le soleil : Akhenaton et Solaar. À 14 ans, Otman et Toufik enflamment le réfectoire du collège et les fêtes de quartier.
Et puis, il y en a une, plus particulière que les autres. Du culte du soleil, on passe à l’underground. C’est Jean et Manu qui amènent ces nouveaux sons. Du jamais entendu. Coup de foudre, autant pour la musique que pour les gars. Dès le lendemain, un freestyle s’organise chez Jean. Des instrus du prof de musique, on passe à la table de mix. L’Eleat va naître de cette rencontre. À 16 ans, c’est l’aventure.

Otman fait ses premières armes avec l’arrogance et la naïveté de la jeunesse. Les textes sont plus sombres, un peu vulgaires. C’est la variet’ qu’il faut refouler. L’Eleat est un crew, une tribu et l’Eleat s’étoffe : beaucoup de concerts, premières parties prestigieuses, compil’ de Cut Killer. Ils le savent, ils sont les meilleurs.

On dit que l’amour dure trois ans, certains groupes de rap aussi.

Une nouvelle expérience avec Manu : un six titres pour Lofora. Ça sonne bien, mais Otman n’en est plus là. L’énergie est ailleurs.
 Fini le beat des machines, il rejoint Screwface. Alors que la France n’a pas encore l’habitude de la fusion, il va rapper avec des musiciens. Mathieu à la batterie, Fred à la guitare, Paul à la basse, DJ Akro pour scratcher et Tony qui tchatche en anglais. C’est une vraie formation, puissante. Un répertoire, un public acquis, des concerts… 


Otman est de ceux qui croient aux signes. Celui qu’il reçoit prend la forme d’une cassette VHS, Paul fait office de messager. C’est le film Slam, réalisé par Marc Levin. Saul Williams est ce poète pour qui les mots sont des munitions et les duels sont des joutes oratoires. Plus de musique ou seulement celle du texte. Le slam, c’est la poésie et la gravité, le sérieux des jeux d’enfants.
 Il prend le cap, ce sera le slam. Plus qu’un choix, c’est un engagement, une alliance. Il embrasse le slam en amant fidèle.

21 ans, un sac à dos et cinq cents francs en poche. En héritier de Rastignac, Otman veut mettre Paris à ses pieds. Monde global oblige, il troque les mondanités balzaciennes contre un poste de vendeur chez Gap. Trois semaines après son arrivée, les muses répondent à ses désirs. Elles chuchotent lorsqu’il prend ce dépliant : une soirée slam à Ménilmontant.

Une salle. Glauque. Le public. Dix pelés, trois tondus. Et Sam qui l’accompagne et qui a tout compris : « C’est ta soirée. »
 . C’est alors la scène. Seul. Les mains qui suent, le corps qui tremble. Le rap n’est pas si loin et c’est ainsi qu’il dira ce qu’il a écrit. Ça marche, ça prend. Nada, l’organisateur, a besoin de remplir sa salle. Il lui demande de revenir.

On est au tout début du slam en France. Pilote Le Hot et Nada sont les pionniers en la matière. Cette rencontre était donc la bonne. S’ensuivent des soirées d’impro à Bastille, Saint-Denis. Le mouvement est tout neuf, en pleine effervescence. Radio Libertaire fait venir ces orateurs au micro. Ils déclament leurs textes en direct. À l’époque, pas d’atelier d’écriture, pas de commerce, pas question de se dire qu’on va vivre de cet art. Dans les pas de Baudelaire, Rimbaud, ces slameurs sont les nouveaux dandys, les nouveaux poètes…

Un collectif émerge, le 129H (Rouda et Lyor). Les soirées sont conçues selon la tradition américaine : des joutes oratoires où le public est maître. Ceux qui montent sur scène savent qu’ils doivent envoyer de la matière, qu’ils doivent se dépasser.
 Le slam a tenu ses promesses. Il s’impose comme une géographie du cœur. L’espace du texte est un lieu de liberté totale, affranchi des lois sociales et temporelles. Otman vibre, il a trouvé sa voie/x.

Retour au bercail, mais Otman est un autre. Il emmène le slam dans ses poches.
Il faut trouver un lieu, ce sera la Bicoque. Il faut trouver un public… Mais il tarde à venir. La salle reste vide. Le monde se peuple des imprévus et il rencontre JKBO et Igor Hagard. Une ancienne maison close leur sert de squat d’artistes, pour peintres, comédiens, danseurs. Ils y organisent des soirées slam. Si c’est une sorte de speak easy, on y parle haut et fort et le mouvement va prendre de l’ampleur. Un réseau se crée, les nuits sont folles et s’il y a eu des soirées slam en 2001 et 2002 à Toulouse, c’est parce que JKBO, Igor et Otman en étaient les organisateurs. 
Ils faut sortir alors de la confidentialité, entrer dans les lumières et les feux des rampes. Les soirées « poésie » vont monter sur les planches. 
Tout est là et il n’y aurait plus qu’à continuer. Mais ce n’est pas le genre du bonhomme. Il lui reste le monde à parcourir…

Parenthèse urbaine et musicale. Cette fois, l’aventure est humaine. Otman découvre la forêt, son peuple et ses lois. Il y gagnera les deux “i”qui enjolivent son nom de scène. 
Et la scène, justement, est très loin. Tout a sa forêt, il n’y pense pas, n’en a pas envie. L’écriture continue cependant. À l’instar d’un composé chimique, elle a ses phases, ses différents états de matière. Elle est toujours en cours de sublimation. (Oui, oui, c’est lorsque une matière passe de l’état solide à l’état gazeux – NDLR)

Ville dont on ne sait si elle sue ou si elle pleure. Enfant du bitume, le slam peut renaître dans ces contrées maudites. Stéphane alias Casual est un fils du pays. Il va aider Otimani à tisser un réseau. Mathurin travaille à la télé et va faire la promo de « Slamazone ». L’événement est relayé par les radios. La première soirée affiche complet.

Nouveau lieu, nouveau concept : pas de tournoi, mais un sujet par mois. Les poètes aiguisent leur plume et durant deux ans, Cayenne aura ses soirées slam. 
Le slam des villes se fait alors « slam des routes ». Otimani et Stéphane organisent un festival itinérant. Des soirées bien sûr, mais aussi des interventions culture/écriture dans les médiathèques. Et de buissonnier qu’il était, le slam rentre à l’école. Il devient l’instrument des collégiens et des préparations d’examens.

La Guyane tout entière est une ZEP. Le slam en atelier d’écriture, c’est une double dynamique, à la fois orale et écrite. Soit parce qu’il croit en son art, soit parce qu’il sait comment rendre aux mots leur magie, Otimani réussit à accrocher, accoucher les gamins. Ils déclament ce qu’ils ont écrit, libèrent leur parole, s’emparent de cet espace, de ce moyen d’expression. S’il y a une chose, plus importante que tout le reste dans cette histoire, la voici : pour Otimani, le slam est un passeport pour s’introduire là où la parole est difficile. Quand les poings sont premiers et les mots seconds, l’écriture et la déclamation deviennent les outils des jeunes et des adultes qui sont avec eux. Ce partage, cet échange, ce mélange, Otimani s’en fait l’instigateur. C’est sa fierté, son œuvre, son don à la communauté des hommes.
Nous sommes en 2012. Dix années à dire et à écrire. Dix années pour apprivoiser son art et sa plume. L’orientation reste la même : performer, ouvrir les bras vers le ciel et suivre ce qui transcende.

Le slam, c’est toujours une question de lieu et cette fois, c’est « Le mot à la bouche ». Medhi 10 lui donne carte blanche et avec Antigo (Cédric) et Ivan de la Daube (Jérémy), c’est parti pour les soirées « Slam est égal ».

On connaît la chanson : c’est un carton dès la première fois, le restaurant est débordé. Pom Pot, Le Goupil rejoignent l’organisation et c’est au tour des filles de monter sur scène. Le concept est rodé : tirage au sort d’un thème par le public, qui sera traité le mois suivant. Une trentaine de poètes participent au « un vers dit, un verre offert » , et pas seulement pour le verre offert. Les soirées sont connues à Valence. Elles sont toutes exceptionnelles. Peut-être parce que ce qui s’y joue, n’est pas juste un divertissement : c’est une expression libre.
Vient alors le temps des grosses machines. Sans subvention, uniquement grâce aux revenus collectés au cours des soirées, des spectacles et des ateliers, un festival peut voir le jour. Premier du genre en France, il se nomme « Terre happy des forts rêveurs ». 
L’année suivante, la ville de Valence est partenaire, le tournoi devient national, les scènes prestigieuses. Des slameurs de la France entière rejoignent les clameurs de la Drôme.
Il aurait suffi de ronronner au coin de ce foyer tranquille, d’aller quémander des budgets pour être un peu plus grand, un peu plus … « institutionnel »… 
Ce qui anime Otimani, c’est la création. Il voulait inventer d’autres choses, se concentrer sur sa pratique et ne pas tendre la patte aux adjoints à la culture. Le slam, « faut que ça envoie le game. Et ça, on le perdait. »
Il est temps de reprendre la route.

C’est avec son nom désormais qu’Otimani va se produire. L’Otimani quartet naît de son association avec Doro, Xavier et Olivier. Un concert aura lieu au théâtre de la ville de Valence. Mais l’histoire sera courte. 
Son art est vivant, Otimani veut qu’il le reste. Art de l’action, art en action, c’est désormais dans le cours des événements qu’il s’écrit et se dit. Auprès d’associations citoyennes, lorsqu’elles se rassemblent, il assiste aux conférences, recueille la parole des gens… Et dans les tubes éprouvettes de son écriture, il concocte une « Virgule poétique ». Le texte est déclamé à vif, le jour même.
Les choix sont aujourd’hui plus ramassés, plus personnels. L’œuvre poétique poursuit son cours.

Le rouge des briques et le bleu d’un ciel invincible, c’est là qu’Otman voit le jour. Sa famille conjugue la diversité géographique : un père marocain et une mère bretonne, franco-algérienne. C’est au son du luth de son père qu’il grandit, mais ses premiers pas dans la musique sont le résultat d’une histoire d’amitié. Nouvelle latitude : de la musique orientale, il passe au rap français. Les figures tutélaires touchent le soleil : Akhenaton et Solaar. À 14 ans, Otman et Toufik enflamment le réfectoire du collège et les fêtes de quartier.
Et puis, il y en a une, plus particulière que les autres. Du culte du soleil, on passe à l’underground. C’est Jean et Manu qui amènent ces nouveaux sons. Du jamais entendu. Coup de foudre, autant pour la musique que pour les gars. Dès le lendemain, un freestyle s’organise chez Jean. Des instrus du prof de musique, on passe à la table de mix. L’Eleat va naître de cette rencontre. À 16 ans, c’est l’aventure.

Otman fait ses premières armes avec l’arrogance et la naïveté de la jeunesse. Les textes sont plus sombres, un peu vulgaires. C’est la variet’ qu’il faut refouler. L’Eleat est un crew, une tribu et l’Eleat s’étoffe : beaucoup de concerts, premières parties prestigieuses, compil’ de Cut Killer. Ils le savent, ils sont les meilleurs.

On dit que l’amour dure trois ans, certains groupes de rap aussi.

Une nouvelle expérience avec Manu : un six titres pour Lofora. Ça sonne bien, mais Otman n’en est plus là. L’énergie est ailleurs.
 Fini le beat des machines, il rejoint Screwface. Alors que la France n’a pas encore l’habitude de la fusion, il va rapper avec des musiciens. Mathieu à la batterie, Fred à la guitare, Paul à la basse, DJ Akro pour scratcher et Tony qui tchatche en anglais. C’est une vraie formation, puissante. Un répertoire, un public acquis, des concerts… 


Otman est de ceux qui croient aux signes. Celui qu’il reçoit prend la forme d’une cassette VHS, Paul fait office de messager. C’est le film Slam, réalisé par Marc Levin. Saul Williams est ce poète pour qui les mots sont des munitions et les duels sont des joutes oratoires. Plus de musique ou seulement celle du texte. Le slam, c’est la poésie et la gravité, le sérieux des jeux d’enfants.
 Il prend le cap, ce sera le slam. Plus qu’un choix, c’est un engagement, une alliance. Il embrasse le slam en amant fidèle.

21 ans, un sac à dos et cinq cents francs en poche. En héritier de Rastignac, Otman veut mettre Paris à ses pieds. Monde global oblige, il troque les mondanités balzaciennes contre un poste de vendeur chez Gap. Trois semaines après son arrivée, les muses répondent à ses désirs. Elles chuchotent lorsqu’il prend ce dépliant : une soirée slam à Ménilmontant.

Une salle. Glauque. Le public. Dix pelés, trois tondus. Et Sam qui l’accompagne et qui a tout compris : « C’est ta soirée. »
 . C’est alors la scène. Seul. Les mains qui suent, le corps qui tremble. Le rap n’est pas si loin et c’est ainsi qu’il dira ce qu’il a écrit. Ça marche, ça prend. Nada, l’organisateur, a besoin de remplir sa salle. Il lui demande de revenir.

On est au tout début du slam en France. Pilote Le Hot et Nada sont les pionniers en la matière. Cette rencontre était donc la bonne. S’ensuivent des soirées d’impro à Bastille, Saint-Denis. Le mouvement est tout neuf, en pleine effervescence. Radio Libertaire fait venir ces orateurs au micro. Ils déclament leurs textes en direct. À l’époque, pas d’atelier d’écriture, pas de commerce, pas question de se dire qu’on va vivre de cet art. Dans les pas de Baudelaire, Rimbaud, ces slameurs sont les nouveaux dandys, les nouveaux poètes…

Un collectif émerge, le 129H (Rouda et Lyor). Les soirées sont conçues selon la tradition américaine : des joutes oratoires où le public est maître. Ceux qui montent sur scène savent qu’ils doivent envoyer de la matière, qu’ils doivent se dépasser.
 Le slam a tenu ses promesses. Il s’impose comme une géographie du cœur. L’espace du texte est un lieu de liberté totale, affranchi des lois sociales et temporelles. Otman vibre, il a trouvé sa voie/x.

Retour au bercail, mais Otman est un autre. Il emmène le slam dans ses poches.
Il faut trouver un lieu, ce sera la Bicoque. Il faut trouver un public… Mais il tarde à venir. La salle reste vide. Le monde se peuple des imprévus et il rencontre JKBO et Igor Hagard. Une ancienne maison close leur sert de squat d’artistes, pour peintres, comédiens, danseurs. Ils y organisent des soirées slam. Si c’est une sorte de speak easy, on y parle haut et fort et le mouvement va prendre de l’ampleur. Un réseau se crée, les nuits sont folles et s’il y a eu des soirées slam en 2001 et 2002 à Toulouse, c’est parce que JKBO, Igor et Otman en étaient les organisateurs. 
Ils faut sortir alors de la confidentialité, entrer dans les lumières et les feux des rampes. Les soirées « poésie » vont monter sur les planches. 
Tout est là et il n’y aurait plus qu’à continuer. Mais ce n’est pas le genre du bonhomme. Il lui reste le monde à parcourir…

Parenthèse urbaine et musicale. Cette fois, l’aventure est humaine. Otman découvre la forêt, son peuple et ses lois. Il y gagnera les deux “i”qui enjolivent son nom de scène. 
Et la scène, justement, est très loin. Tout a sa forêt, il n’y pense pas, n’en a pas envie. L’écriture continue cependant. À l’instar d’un composé chimique, elle a ses phases, ses différents états de matière. Elle est toujours en cours de sublimation. (Oui, oui, c’est lorsque une matière passe de l’état solide à l’état gazeux – NDLR)

Ville dont on ne sait si elle sue ou si elle pleure. Enfant du bitume, le slam peut renaître dans ces contrées maudites. Stéphane alias Casual est un fils du pays. Il va aider Otimani à tisser un réseau. Mathurin travaille à la télé et va faire la promo de « Slamazone ». L’événement est relayé par les radios. La première soirée affiche complet.

Nouveau lieu, nouveau concept : pas de tournoi, mais un sujet par mois. Les poètes aiguisent leur plume et durant deux ans, Cayenne aura ses soirées slam. 
Le slam des villes se fait alors « slam des routes ». Otimani et Stéphane organisent un festival itinérant. Des soirées bien sûr, mais aussi des interventions culture/écriture dans les médiathèques. Et de buissonnier qu’il était, le slam rentre à l’école. Il devient l’instrument des collégiens et des préparations d’examens.

La Guyane tout entière est une ZEP. Le slam en atelier d’écriture, c’est une double dynamique, à la fois orale et écrite. Soit parce qu’il croit en son art, soit parce qu’il sait comment rendre aux mots leur magie, Otimani réussit à accrocher, accoucher les gamins. Ils déclament ce qu’ils ont écrit, libèrent leur parole, s’emparent de cet espace, de ce moyen d’expression. S’il y a une chose, plus importante que tout le reste dans cette histoire, la voici : pour Otimani, le slam est un passeport pour s’introduire là où la parole est difficile. Quand les poings sont premiers et les mots seconds, l’écriture et la déclamation deviennent les outils des jeunes et des adultes qui sont avec eux. Ce partage, cet échange, ce mélange, Otimani s’en fait l’instigateur. C’est sa fierté, son œuvre, son don à la communauté des hommes.
Nous sommes en 2012. Dix années à dire et à écrire. Dix années pour apprivoiser son art et sa plume. L’orientation reste la même : performer, ouvrir les bras vers le ciel et suivre ce qui transcende.

Le slam, c’est toujours une question de lieu et cette fois, c’est « Le mot à la bouche ». Medhi 10 lui donne carte blanche et avec Antigo (Cédric) et Ivan de la Daube (Jérémy), c’est parti pour les soirées « Slam est égal ».

On connaît la chanson : c’est un carton dès la première fois, le restaurant est débordé. Pom Pot, Le Goupil rejoignent l’organisation et c’est au tour des filles de monter sur scène. Le concept est rodé : tirage au sort d’un thème par le public, qui sera traité le mois suivant. Une trentaine de poètes participent au « un vers dit, un verre offert » , et pas seulement pour le verre offert. Les soirées sont connues à Valence. Elles sont toutes exceptionnelles. Peut-être parce que ce qui s’y joue, n’est pas juste un divertissement : c’est une expression libre.
Vient alors le temps des grosses machines. Sans subvention, uniquement grâce aux revenus collectés au cours des soirées, des spectacles et des ateliers, un festival peut voir le jour. Premier du genre en France, il se nomme « Terre happy des forts rêveurs ». 
L’année suivante, la ville de Valence est partenaire, le tournoi devient national, les scènes prestigieuses. Des slameurs de la France entière rejoignent les clameurs de la Drôme.
Il aurait suffi de ronronner au coin de ce foyer tranquille, d’aller quémander des budgets pour être un peu plus grand, un peu plus … « institutionnel »… 
Ce qui anime Otimani, c’est la création. Il voulait inventer d’autres choses, se concentrer sur sa pratique et ne pas tendre la patte aux adjoints à la culture. Le slam, « faut que ça envoie le game. Et ça, on le perdait. »
Il est temps de reprendre la route.

C’est avec son nom désormais qu’Otimani va se produire. L’Otimani quartet naît de son association avec Doro, Xavier et Olivier. Un concert aura lieu au théâtre de la ville de Valence. Mais l’histoire sera courte. 
Son art est vivant, Otimani veut qu’il le reste. Art de l’action, art en action, c’est désormais dans le cours des événements qu’il s’écrit et se dit. Auprès d’associations citoyennes, lorsqu’elles se rassemblent, il assiste aux conférences, recueille la parole des gens… Et dans les tubes éprouvettes de son écriture, il concocte une « Virgule poétique ». Le texte est déclamé à vif, le jour même.
Les choix sont aujourd’hui plus ramassés, plus personnels. L’œuvre poétique poursuit son cours.

Le rouge des briques et le bleu d’un ciel invincible, c’est là qu’Otman voit le jour. Sa famille conjugue la diversité géographique : un père marocain et une mère bretonne, franco-algérienne. C’est au son du luth de son père qu’il grandit, mais ses premiers pas dans la musique sont le résultat d’une histoire d’amitié. Nouvelle latitude : de la musique orientale, il passe au rap français. Les figures tutélaires touchent le soleil : Akhenaton et Solaar. À 14 ans, Otman et Toufik enflamment le réfectoire du collège et les fêtes de quartier.
Et puis, il y en a une, plus particulière que les autres. Du culte du soleil, on passe à l’underground. C’est Jean et Manu qui amènent ces nouveaux sons. Du jamais entendu. Coup de foudre, autant pour la musique que pour les gars. Dès le lendemain, un freestyle s’organise chez Jean. Des instrus du prof de musique, on passe à la table de mix. L’Eleat va naître de cette rencontre. À 16 ans, c’est l’aventure.

Otman fait ses premières armes avec l’arrogance et la naïveté de la jeunesse. Les textes sont plus sombres, un peu vulgaires. C’est la variet’ qu’il faut refouler. L’Eleat est un crew, une tribu et l’Eleat s’étoffe : beaucoup de concerts, premières parties prestigieuses, compil’ de Cut Killer. Ils le savent, ils sont les meilleurs.

On dit que l’amour dure trois ans, certains groupes de rap aussi.

Une nouvelle expérience avec Manu : un six titres pour Lofora. Ça sonne bien, mais Otman n’en est plus là. L’énergie est ailleurs.
 Fini le beat des machines, il rejoint Screwface. Alors que la France n’a pas encore l’habitude de la fusion, il va rapper avec des musiciens. Mathieu à la batterie, Fred à la guitare, Paul à la basse, DJ Akro pour scratcher et Tony qui tchatche en anglais. C’est une vraie formation, puissante. Un répertoire, un public acquis, des concerts… 


Otman est de ceux qui croient aux signes. Celui qu’il reçoit prend la forme d’une cassette VHS, Paul fait office de messager. C’est le film Slam, réalisé par Marc Levin. Saul Williams est ce poète pour qui les mots sont des munitions et les duels sont des joutes oratoires. Plus de musique ou seulement celle du texte. Le slam, c’est la poésie et la gravité, le sérieux des jeux d’enfants.
 Il prend le cap, ce sera le slam. Plus qu’un choix, c’est un engagement, une alliance. Il embrasse le slam en amant fidèle.

21 ans, un sac à dos et cinq cents francs en poche. En héritier de Rastignac, Otman veut mettre Paris à ses pieds. Monde global oblige, il troque les mondanités balzaciennes contre un poste de vendeur chez Gap. Trois semaines après son arrivée, les muses répondent à ses désirs. Elles chuchotent lorsqu’il prend ce dépliant : une soirée slam à Ménilmontant.

Une salle. Glauque. Le public. Dix pelés, trois tondus. Et Sam qui l’accompagne et qui a tout compris : « C’est ta soirée. »
 . C’est alors la scène. Seul. Les mains qui suent, le corps qui tremble. Le rap n’est pas si loin et c’est ainsi qu’il dira ce qu’il a écrit. Ça marche, ça prend. Nada, l’organisateur, a besoin de remplir sa salle. Il lui demande de revenir.

On est au tout début du slam en France. Pilote Le Hot et Nada sont les pionniers en la matière. Cette rencontre était donc la bonne. S’ensuivent des soirées d’impro à Bastille, Saint-Denis. Le mouvement est tout neuf, en pleine effervescence. Radio Libertaire fait venir ces orateurs au micro. Ils déclament leurs textes en direct. À l’époque, pas d’atelier d’écriture, pas de commerce, pas question de se dire qu’on va vivre de cet art. Dans les pas de Baudelaire, Rimbaud, ces slameurs sont les nouveaux dandys, les nouveaux poètes…

Un collectif émerge, le 129H (Rouda et Lyor). Les soirées sont conçues selon la tradition américaine : des joutes oratoires où le public est maître. Ceux qui montent sur scène savent qu’ils doivent envoyer de la matière, qu’ils doivent se dépasser.
 Le slam a tenu ses promesses. Il s’impose comme une géographie du cœur. L’espace du texte est un lieu de liberté totale, affranchi des lois sociales et temporelles. Otman vibre, il a trouvé sa voie/x.

Retour au bercail, mais Otman est un autre. Il emmène le slam dans ses poches.
Il faut trouver un lieu, ce sera la Bicoque. Il faut trouver un public… Mais il tarde à venir. La salle reste vide. Le monde se peuple des imprévus et il rencontre JKBO et Igor Hagard. Une ancienne maison close leur sert de squat d’artistes, pour peintres, comédiens, danseurs. Ils y organisent des soirées slam. Si c’est une sorte de speak easy, on y parle haut et fort et le mouvement va prendre de l’ampleur. Un réseau se crée, les nuits sont folles et s’il y a eu des soirées slam en 2001 et 2002 à Toulouse, c’est parce que JKBO, Igor et Otman en étaient les organisateurs. 
Ils faut sortir alors de la confidentialité, entrer dans les lumières et les feux des rampes. Les soirées « poésie » vont monter sur les planches. 
Tout est là et il n’y aurait plus qu’à continuer. Mais ce n’est pas le genre du bonhomme. Il lui reste le monde à parcourir…

Parenthèse urbaine et musicale. Cette fois, l’aventure est humaine. Otman découvre la forêt, son peuple et ses lois. Il y gagnera les deux “i”qui enjolivent son nom de scène. 
Et la scène, justement, est très loin. Tout a sa forêt, il n’y pense pas, n’en a pas envie. L’écriture continue cependant. À l’instar d’un composé chimique, elle a ses phases, ses différents états de matière. Elle est toujours en cours de sublimation. (Oui, oui, c’est lorsque une matière passe de l’état solide à l’état gazeux – NDLR)

Ville dont on ne sait si elle sue ou si elle pleure. Enfant du bitume, le slam peut renaître dans ces contrées maudites. Stéphane alias Casual est un fils du pays. Il va aider Otimani à tisser un réseau. Mathurin travaille à la télé et va faire la promo de « Slamazone ». L’événement est relayé par les radios. La première soirée affiche complet.

Nouveau lieu, nouveau concept : pas de tournoi, mais un sujet par mois. Les poètes aiguisent leur plume et durant deux ans, Cayenne aura ses soirées slam. 
Le slam des villes se fait alors « slam des routes ». Otimani et Stéphane organisent un festival itinérant. Des soirées bien sûr, mais aussi des interventions culture/écriture dans les médiathèques. Et de buissonnier qu’il était, le slam rentre à l’école. Il devient l’instrument des collégiens et des préparations d’examens.

La Guyane tout entière est une ZEP. Le slam en atelier d’écriture, c’est une double dynamique, à la fois orale et écrite. Soit parce qu’il croit en son art, soit parce qu’il sait comment rendre aux mots leur magie, Otimani réussit à accrocher, accoucher les gamins. Ils déclament ce qu’ils ont écrit, libèrent leur parole, s’emparent de cet espace, de ce moyen d’expression. S’il y a une chose, plus importante que tout le reste dans cette histoire, la voici : pour Otimani, le slam est un passeport pour s’introduire là où la parole est difficile. Quand les poings sont premiers et les mots seconds, l’écriture et la déclamation deviennent les outils des jeunes et des adultes qui sont avec eux. Ce partage, cet échange, ce mélange, Otimani s’en fait l’instigateur. C’est sa fierté, son œuvre, son don à la communauté des hommes.
Nous sommes en 2012. Dix années à dire et à écrire. Dix années pour apprivoiser son art et sa plume. L’orientation reste la même : performer, ouvrir les bras vers le ciel et suivre ce qui transcende.

Le slam, c’est toujours une question de lieu et cette fois, c’est « Le mot à la bouche ». Medhi 10 lui donne carte blanche et avec Antigo (Cédric) et Ivan de la Daube (Jérémy), c’est parti pour les soirées « Slam est égal ».

On connaît la chanson : c’est un carton dès la première fois, le restaurant est débordé. Pom Pot, Le Goupil rejoignent l’organisation et c’est au tour des filles de monter sur scène. Le concept est rodé : tirage au sort d’un thème par le public, qui sera traité le mois suivant. Une trentaine de poètes participent au « un vers dit, un verre offert » , et pas seulement pour le verre offert. Les soirées sont connues à Valence. Elles sont toutes exceptionnelles. Peut-être parce que ce qui s’y joue, n’est pas juste un divertissement : c’est une expression libre.
Vient alors le temps des grosses machines. Sans subvention, uniquement grâce aux revenus collectés au cours des soirées, des spectacles et des ateliers, un festival peut voir le jour. Premier du genre en France, il se nomme « Terre happy des forts rêveurs ». 
L’année suivante, la ville de Valence est partenaire, le tournoi devient national, les scènes prestigieuses. Des slameurs de la France entière rejoignent les clameurs de la Drôme.
Il aurait suffi de ronronner au coin de ce foyer tranquille, d’aller quémander des budgets pour être un peu plus grand, un peu plus … « institutionnel »… 
Ce qui anime Otimani, c’est la création. Il voulait inventer d’autres choses, se concentrer sur sa pratique et ne pas tendre la patte aux adjoints à la culture. Le slam, « faut que ça envoie le game. Et ça, on le perdait. »
Il est temps de reprendre la route.

C’est avec son nom désormais qu’Otimani va se produire. L’Otimani quartet naît de son association avec Doro, Xavier et Olivier. Un concert aura lieu au théâtre de la ville de Valence. Mais l’histoire sera courte. 
Son art est vivant, Otimani veut qu’il le reste. Art de l’action, art en action, c’est désormais dans le cours des événements qu’il s’écrit et se dit. Auprès d’associations citoyennes, lorsqu’elles se rassemblent, il assiste aux conférences, recueille la parole des gens… Et dans les tubes éprouvettes de son écriture, il concocte une « Virgule poétique ». Le texte est déclamé à vif, le jour même.
Les choix sont aujourd’hui plus ramassés, plus personnels. L’œuvre poétique poursuit son cours.